N22 – Toc, toc, toc…

Nous commençons le tour des névroses avec l’obsession. Cette dernière ne figure plus dans la classification du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie qui est l’ouvrage de référence en psychiatrie, mais pas le nôtre. La névrose n’a pas pour autant disparu: le DSM en a fait un TOC, trouble obsessionnel compulsif, une bipolarisation qui a l’avantage d’afficher une dynamique que Freud avait dépistée avec le refoulement.

Les troubles de la Norme N22

Un étudiant m’a soutenu récemment que les chiens domestiques pouvaient agir contre leur intérêt. A la mort de leur maitre par exemple, il arrive que certains chiens se laissent dépérir jusqu’à en mourir, une volonté qui contredirait notre assertion selon laquelle les animaux n’agissent jamais que par intérêt. L’objection à l’objection réside pour nous dans les affects et dans leur disparition suite à un choc émotionnel puissant. Le chien choqué par la disparition de son maitre perdrait ainsi jusqu’à l’instinct de survie, faute de carburant motivant. Il n’y a donc pas à proprement parler renoncement à vivre dans ce cas canin mais plutôt perte d’appétit existentiel irréversible. La distinction est subtile mais d’importance.

Au commencement, il y a le désir. Enfin… pas exactement. Je vous renvoie en M4 et en N1 pour découvrir ce qui se cache encore en deçà. Les médiationnistes parlent parfois de « projet » plutôt que de pulsion parce que ça rime avec objet, trajet et sujet chez l’#anthropien, une manière de désigner notre socle animal. Une pulsion peut céder la place à une autre: on appelle prix (à payer) celle qui s’efface et qui constitue donc un sacrifice afin d’atteindre un bien, de même nature, mais d’une valeur préférable qui justifie l’effort et présente donc une plus-value. L’animal n’agit jamais que par intérêt et ne dépense son énergie que pour obtenir mieux. Le sacrifice de certains se fait au nom de la pérennité de l’espèce, l’animal ne privilégiant pas l’individu au troupeau.

Nous mêmes agissons très souvent ainsi, nous acquittant d’un prix pour accéder à une autre satisfaction, le bien, parfois au nom de la communauté ou de nos proches: plutôt sacrifier sa propre vie pour sauver celle de l’être aimé ou du collectif plutôt que d’affronter une existence sans lui ou dans le remords.

Mais en matière de valeur, notre humanité ne s’en tient pas là, même si certains économistes libéraux le prétendent avec un homo oeconomicus au ras des pâquerettes.

En s’opposant à la satisfaction immédiate du désir, la #Norme instaure du manque structural, non pas de manière circonstancielle, mais par prégnance spontanée. La frustration ne résulte pas du contexte mais s’impose d’elle-même. Il faut la comprendre comme un rationnement, non pas à strictement parler volontaire avec une décision consciente, mais comme une règle qui s’impose, irrésistible au final, aussi nécessaire que l’est la pulsion avec laquelle elle entre en conflit. Gagnepain parle à ce propos d’autocastration pour bien signifier qu’aucune pression extérieure n’intervient dans cette restriction, qu’on distinguera donc de la pression sociale qu’on l’attribue à l’éducation, aux bonnes moeurs ou à l’Église. Le surmoi freudien doit, quant à lui, rejoindre le Père Fouettard au rayon des vieilleries insuffisamment déconstruites.

Un gage verrouillé

C3PO se demandant s’il ne vaudrait pas mieux parfois se contenter du physique ingrat de D2R2 pour en obtenir la tranquillité d’esprit.

En matière de Réglementant, il faut comprendre le Gage, non pas comme une pénitence consécutive à une faute, mais comme une garantie de promesse, une assurance préalable à une hypothétique satisfaction d’un autre ordre. Aussi quand on parlera ici de culpabilité, ce sera du sentiment infondé de mésestime de soi et non de la responsabilité pénale de la Personne.

Qualitativement, le Réglementant définit du Garant, c’est à dire de l’identité timologique, de τιμή, timế, la « valeur », qu’on retrouve justement dans le terme « estime ». Le prix à payer du projet s’y retrouve nié en tant que sacrifice-en-vue-de et classé dans un crible d’admissibilité. Alors que le Prix à payer doit être abandonné en vue de l’obtention d’un mieux, le Garant refoule le projet sacrifié sous sa forme brute et l’analyse en éléments acceptables ou pas: l’inadmissible est réprimé alors que certains aspects de l’envie passeront l’épreuve de la douane timologique, de la grille de l’estimation pour constituer par réinvestissement en situation une procédure d’agrément, une valeur. On parle à ce sujet d’habilitation à condition de comprendre ce terme sans dimension légale mais avec une acception légitimante. On réfléchit toujours ici, je vous le rappelle, dans le cadre d’une dissociation des plans 3 et 4.

Dans « Idées Noires », André Franquin a puisé dans son cafard chronique (rumination de pensées plombantes) l’inspiration pour cette série de planches dont l’extrême finition du dessin peut donner le vertige à tous les griffonneurs.

On l’aura deviné: qui dit rationnement dit ration et donc part réduite mais tout de même octroyée: la négation du désir n’est donc que partielle et une dimension du Prix à payer passe la censure pour offrir la garantie: ce qu’on en-gage pour se permettre. L’habilitation se règle en précautions d’usage, elle s’opère à mots couverts quand les pulsions sont par trop répréhensibles, indignes et choquantes pour le sujet. L’Homme aux rats dont Freud décrit le cas dissimule sous des associations incongrues et assez morbides (mort du père, supplice atroce, dette) des désirs inavouables et monstrueux pour lui: mais ceux-ci déjouent la vigilance de la censure en adoptant des formes dérivées et déguisées (jeux de mots et allégories). Ça finit par passer mais pas n’importe comment et de manière insistante. C’est l’obsession.

– Sergent! – Oui, Colonel! – Avez-vous utilisé un tube à fond rond avec bord évasé en verre borosilicaté 5.1 pour votre analyse d’urine? – Tout à fait, Colonel ! – Vous n’ignorez pas que le tube à fond rond PROMED® de type Sorwall en polystyrène est imposé par le protocole pour ce genre de test? – Non, Colonel! – Alors pourquoi ne pas avoir respecté la consigne, Sergent? – Il se trouve, Colonel, que l’alinéa 27 du dit protocole recommande d’utiliser un tube à fond rond avec bord évasé en verre borosilicaté 5.1 si la température de l’urine excède les 38°. Or au moment de ma miction, j’ai eu un accès de fièvre et j’ai pensé que le PROMED® de type Sorwall était par conséquent plus indiqué. – Excellent, Sergent, excellent! Vous penserez à reboutonner votre braguette.

On voit ici se dessiner une théorie de la méthode et de la discipline, de la parole de valeur. En physique et chimie par exemple, si tout n’est pas interdit, tout n’est pas non plus permis: la rigueur méthodologique rationne la parole en formules mathématiques et l’expérimentation pointilleuse les sanctionne, validation ou réfutation. Il y a un caractère obsessionnel dans la science. On ne déroge pas à la règle à suivre sous peine d’être invalidé par l’épistémologie et faites-lui confiance pour trouver la faille. 

A un moindre degré de contrainte, il en va de même pour tout comportement qui ne relève pas de l’intéressement animal: la Norme traite éthiquement et dépasse moralement l’économie éthologique où l’agent paye un prix pour un bien. Le renoncement-pour cède la place à l’abnégation pure.

Ces deux types de comportement coexistent cependant dans notre quotidien et il faut mettre en oeuvre une certaine acuité pour les distinguer. C’est d’ailleurs la pathologie qui aide à y voir plus clair lorsque que le processus s’enraye. 

Dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou », Billy bégaie et montre tous les symptômes d’un tourment névrotique.

On parle de névrose quand, toujours en quête d’assouvissement, la pulsion même détournée ne trouve pas d’issue satisfaisante, quand le contournement de l’interdit ne se fait plus qu’au prix de manoeuvres pathologiques. L’obsessionnel est victime de la prégnance du gage à tenir, toujours reconduit et jamais suffisant. Il lui faut toujours prouver sa valeur qui sera toujours prise en défaut avec pour conséquence l’autodévalorisation du sujet.

Le mot obsession est emprunté au latin obsessio qui désigne le blocus ou le siège. L’esprit est assiégé par des pensées récurrentes et intrusives, des images persistantes, un doute omniprésent et la crainte du pire qui paralysent le fonctionnement psychique. On désigne par rumination mentale, cette régurgitation des projets impossibles de « mener à bien » et rejetés en l’état par le refoulement. Incapable de se libérer pour se consacrer à autre chose, l’esprit est obnubilé pas des idées noires qu’il ressasse, tétanisées par des catastrophes fantasmées à cause de précautions par principe insuffisantes.

Ce n’est certainement pas un hasard si le très méticuleux Maurits Cornelis Escher a choisi la gravure pour s’exprimer. Son amitié avec des mathématiciens n’est pas plus surprenante.

Jean-Claude Schotte écrit très justement à ce propos: « L’obsessionnel (excès d’analyse du gage, du Réglementant), qui est toujours en faute, qui n’est jamais sûr de payer le bon prix et qui doute à n’en pas finir des méthodes choisies jusqu’à oublier (« refouler ») ce qu’il pourrait ainsi se permettre à titre de satisfaction, justifie ses doutes, malgré lui, par la catastrophe qu’il risque de réaliser ou de subir s’il ne se rachète pas comme il faut – mais comment faut-il, justement, se corriger pour bien s’y prendre ? La catastrophe fantasmée qui l’engage dans une correction qui n’aboutit pas, a un nom : c’est l’obsession, l’idée obsédante, l’idée de quelque horreur qui n’a rien d’un bien escompté, mais qui le guette s’il transgresse au niveau du prix. »

Dans le même article, Schotte utilise le terme de scrupulosité, un concept qui aide à cerner l’obsessionnel.

Le Robert définit le scrupule comme l’incertitude d’une conscience exigeante sur la conduite à adopter ou l’inquiétude sur un point de morale, ce qui en fait un synonyme du cas de conscience. Les deux autres définitions sont tout aussi intéressantes: exigence morale très poussée et tendance à se juger avec rigueur, ce qui convient assez bien à la scrupulosité. Le Larousse reprend cette idée de doute mais l’associe plus précisément à la crainte de mal faire et d’être importun. Le scrupule repose donc sur l’angoisse de ne pas faire ce qu’il faut et de provoquer des conséquences désastreuses. A son paroxysme, il entraine un blocage complet et l’inaction. Là où ordinairement, le choix s’opère presqu’à l’insu du sujet, l’obsessionnel se retrouve devant un cas de conscience insurmontable.

Sortie TOR

Numéro 6 n’est-il pas en fait prisonnier de sa propre censure qui l’empêche de retourner à une vie au dehors? A noter que le dénouement et le retour à la vie d’avant intervient avec une précipitation allègre qui tient de la décompensation.

Ni rusé ni paresseux, le névrosé fait preuve d’une scrupulosité qui peut passer pour une indécision chronique: à force d’osciller entre une manière et son contraire, le névrosé peut aller jusqu’à revenir sur ses décisions, les annuler ou ne rien décider du tout pour ne pas avoir à en assumer les conséquences forcément désastreuses ni affronter l’anxiété du remord consécutif à un mauvais choix.

La scrupulosité peut aussi se définir comme un excès de prévention morale. Le névrosé se met en échec par abus d’exigences préalables au succès. A force de déplacer vers le plus la jauge des critères à remplir pour mener à bien une opération, il finit par ne plus l’entreprendre du tout: ce n’est ni de la perversion ni de la mollesse mais une résistance exacerbée de la censure qui agit de manière intrapsychique.

Le protocole névrotique (comme on dirait le protocole scientifique), c’est la mise en place spontanée d’une procédure contraignante qui peut se révéler irréaliste tellement la méthode est exigeante, longue et retors. L’énorme effort défensif contre les désirs inconscients que constitue cette barrière morale monopolise l’énergie du sujet qui n’arrive à rien concrétiser à force d’empêcher l’essentiel de prendre corps, là où la personne équilibrée trouve le compromis dans l’imperfection (qui advient parce que justement elle sait se contenter) et procure une certaine satisfaction. Au contraire, c’est la frustration qui l’emporte chez le névrosé et si d’aventure la pulsion trouve de temps à autre une voie pour percer, c’est la culpabilité qui l’emporte par effet-retour. A force de maitrise et de rétention, à force de pinailler et de ne rien lâcher, le patient névrotique est voué au mal-être tant sur le plan sexuel que sur l’ensemble de ses comportements.

Je me suis souvent demandé ce que Freud aurait pensé de la théorie de la médiation. Et aurait-il souri en parcourant l’Anthropologie pour les quiches?

Gagnepain classe la névrose obsessionnelle dans les troubles autolytiques taxinomiques. Ça ne vous avance pas beaucoup, je vous l’accorde. Disons qu’à cause de l’#autolyse, la capacité de choix moral (fais pas ci mais fait ça!) se sclérose et n’arrive plus à s’adapter à la situation où d’ordinaire, on fait avec.

Si l’on fait un parallèle avec le trouble correspondant sur le modèle de la Personne, c’est à dire avec le fétichisme, on pourrait dire que l’obsessionnel sur-investit une identité du garant comme son homologue pervers sur-investissait un statut de l’Autre, via un emblème. Incapable d’envisager le problème dans sa globalité et de relativiser l’importance du point de détail sur lequel il achoppe, le névrosé se retrouve sans cesse assailli par l’angoisse de ne pas avoir suffisamment assuré.

Là où tout un chacun se satisfait de l’à-peu-près un poil hasardeux qui permet d’avancer vers la résolution heureuse d’un problème (on tâtonne pour arriver à la manière de dire qui par défaut fera l’affaire), le névrosé se refuse le droit à l’erreur, l’imprécision fautive et cherche désespérément à prévenir la catastrophe (il se montre tatillon sur le vocabulaire, il ergote à propos d’une virgule probablement essentielle, il tourne autour du pot et n’arrive à rien sans un soutien extérieur pour trancher). Au niveau du Réglementant, la censure est telle que rien ne passe plus et le névrosé se trouve alors dans l’incapacité d’ajuster les précautions et d’agir pour soulager la tension qu’engendre un refoulement trop strict. L’interdit hypertrophié empêche le relâchement pulsionnel occasionnel régulier à petites doses qui de ce fait passe généralement inaperçu, sauf en cas de dérapage trop visible. Le lapsus révèle que le désir a déjoué l’interdit: ça pousse et ça tend vers la satisfaction, on ne le retient pas indéfiniment. Même pas en rêve.

Dans les cas les plus graves, l’obsessionnel cherche à être dans le contrôle total mais reste toujours en tension, à la merci d’un débordement imprévisible et anxiogène, ce qui ne manque pas de surgir notamment sous la forme d’idées incongrues, dérangeantes et répréhensibles, résultat non souhaité d’un défaut du refoulement qui finit toujours par se produire. Ça se défoule malgré tout, rien n’endigue durablement la pulsion, sinon le symptôme.

Lâcher prise

Dans le film « Le Chocolat », au lieu d’acheter sa tablette comme tous les autres clients, le Comte pénètre par effraction dans la chocolaterie et après des mois de privation janséniste, il se livre à une orgie aussi solitaire que désespérée.

C’est pourquoi l’obsessionnel se double généralement d’un compulsif. Mû par une pression intérieure à satisfaire sous peine d’angoisse insupportable, la résistance du sujet cède à la tentation occasionnelle de manière souvent spectaculaire. L’avare explose en achats incontrôlés, commande par lots sur Internet des articles qui se révèleront superflus et inadaptés. L’anorexique qui contrôle habituellement son corps jusqu’à l’affamer se livre subitement à la crise de boulimie, s’empiffre avant d’aller se faire vomir pour reprendre le dessus sur l’appétit. Lorsqu’il rencontre l’occasion favorable et lorsque l’objet semble s’offrir à la satisfaction de la pulsion, le « passage à l’acte » représente un assouvissement parfois violent et souvent inexplicable pour le sujet lui-même. Le dicton le dit d’ailleurs bien: « Méfiez-vous de l’eau qui dort ». La rétention doit bien à un moment ou l’autre céder à la pression. Si celle-ci résulte d’une longue accumulation, l’expulsion décompensatoire se fera en proportion, un peu à la manière des secousses sismiques majeures qui interviennent après des périodes d’inactivité tectonique. 

Elle vaut ce qu’elle vaut mais c’est l’image du barrage qui me vient à l’esprit. L’eau accumulée est sublimée en énergie électrique. Mais il faut parfois procéder à des lâchers d’eau pour éviter le trop plein et le débordement. La un stade critique, la névrose correspond à une obturation de toutes les issues et à un accident majeur annoncée: la décompensation.

Nous reviendrons plus longuement sur la bipolarité de la névrose dans un autre chapitre. A la différence de la classification nosologique en vigueur, la théorie de la médiation conserve les termes de névrose et d’hystérie et comme Schotte le souligne, l’une comme l’autre sont le cadre de phénomènes bipolaires (rétention et décompensation) cycliques. Tous les troubles névrotiques (les hystéries en font aussi partie) sont à caractère bipolaire: c’est donc un symptôme et non une pathologie en soi.

Trait de caractère et pathologie

La psychologue Maria Hejnar distingue la personnalité obsessionnelle, qu’on qualifie ordinairement de nos jours de psycho-rigide, de la névrose obsessionnelle, autrement dit elle sépare la tendance qui mène à la rigueur et l’excès qui conduit à la pathologie. « Une activité mentale débordante, de nombreux rituels, de vérifications constantes, de la rumination, un certain perfectionnisme et une grande rigueur – tous ces traits peuvent être plus ou moins intenses. Tout dépend de l’intensité et du contexte dans lequel s’inscrit le fonctionnement obsessionnel… Lorsque la rigueur, par exemple, n’est pas excessive, elle constitue juste un trait de personnalité obsessionnelle d’une personne avec une organisation de la personnalité normalo-névrotique. Dans ce cas, elle peut être fort utile dans les investissements scolaire ou professionnel. Ce type de personnalité favorise une bonne organisation, la ponctualité, l’exactitude ou encore les capacités d’analyse et de synthèse. Mais dans la névrose obsessionnelle, cette rigueur devient rigidité. Sermonnés par la conscience morale, issue d’un surmoi par trop puissant, les névrosés se sentent contraints, de manière incoercible, à des comportements tels que les rites conjuratoires ou les vérifications. Ces comportements s’imposent ainsi jusqu’à devenir des compulsions parfois invalidantes. Le souci de l’ordre et du rangement devient compulsif, le plaisir de collectionner peut se transformer en accumulation d’objets, et la tendance à l’économie en avarice. D’autre part le sujet est envahi par des pensées obsessionnelles. C’est pourquoi, la lutte contre ces compulsions et ces obsessions prend toute la place sans pour autant apporter ne serait-ce qu’un peu de souplesse. »

Should I stay or should I go?

Le lecteur averti pourra d’ailleurs déceler dans ma propre tendance à la redondance rhétorique le symptôme d’une quête incessante du mot le plus juste, la recherche jusqu’à l’insensé de la formule exacte, une folie du doute malgré tout contenue car si je suis un peine-à-jouir rédactionnel, la possibilité de revoir ma copie sur le net m’habilite à mettre un point final que je sais ne jamais être définitif.

L’obsessionnel assailli, voir submergé, par toutes ces productions involontaires et angoissantes doit alors mobiliser toute son énergie psychique pour conjurer l’avalanche pulsionnelle pressentie en rituels propitiatoires qui canalisent la pulsion en protocoles absurdes aux yeux d’autrui mais qui s’inscrivent parfaitement dans la logique tranquillisante du sujet névrosé. Le tic (ou rite) du TOC permet de vaincre momentanément l’anxiété que provoque le conflit insupportable entre pulsion et interdiction. A un moindre degré, le tic qu’on qualifiait jadis de nerveux sert lui aussi à évacuer le trop plein que provoque le refoulement: c’est le pied qui gigote sous la table, le rictus intempestif, le grattement de nez, le clignement de paupières involontaire, l’expression aussi récurrente qu’irrépressible (je suis le recordman du monde du « d’accord » et du « okay » en cours, traduction très vraisemblable de mon angoisse pédagogique de ne pas être écouté ou compris). 

Mais le désir qui perce peut aussi s’exprimer en un accès de rage, une inquiétude qui s’incarne (on se mord les lèvres et les joues, on se ronge les ongles, on se dévore les cuticules, sans oublier la colique, l’eczéma…) et autres joyeusetés autodestructrices.

Hamlet se tâte, Hamlet se méfie. Hamlet se gratte: Est-ce qu’il a envie? Toubib or not toubib? Ce handicap, c’est bien lui!

Le névrosé se condamne à la frustration, et, double peine, à la culpabilité malgré cette restriction drastique. L’estime de soi en berne permanente, le névrosé trouvera toujours son ouvrage insuffisamment abouti. Il rature son texte jusqu’à le rendre illisible, retaille constamment sa moustache réduite à une fine rangée de poils alignés comme un bataillon de Saint-Cyriens, reprend sa toile qu’il refuse d’exposer quand il ne la brûle pas, jette ses croquis jugés indignes, hésite à prendre la parole au cours d’un débat au prétexte de clarifier au préalable une pensée complexe. Il bégaie comme il trébuche. Il remet constamment et méticuleusement ses affaires en ordre, n’en finit pas de se laver les mains avant de manger, d’astiquer sa cuisine pourtant nickel, de passer l’aspirateur, de briquer ses chaussures, de classer sa collection de timbres, de ranger ses livres et sa caisse à outils, de chercher le mot juste jusqu’à ne plus pouvoir finir sa phrase, d’expliquer à nouveau ce qui tombe sous le sens, de vérifier qu’il a bien ses clefs dans sa poche ou sa carte bleue dans son portefeuille, de refaire dix fois son noeud de cravate, de dresser des listes de choses à faire, de rendre sa copie à la dernière minute après l’avoir relue quinze fois ou d’arriver en avance à la gare alors que les trains ne partent jamais plus tôt que prévu (ça, c’est pour Freud et moi). Le névrosé s’excuse aussi d’être trop long mais ratiocine et radote jusqu’à lasser son auditoire. Il peut a contrario opter pour une formule tellement concentrée qu’elle en deviendra incompréhensible, ce qui aura pour effet de le frustrer.

Le site Carnet2psycho propose un symptôme plus radical encore: « Dans ce doute prend souvent place une interrogation lancinante et génératrice de multiples vérifications toujours insatisfaisantes sur la possibilité d’un meurtre que l’individu aurait commis ou viendrait de commettre à son insu. Ainsi, un automobiliste se sentira contraint de revenir sur son chemin pour contrôler s’il n’a pas renversé un passant à tel carrefour, sans s’en être avisé. Il va de soi que la vérification ne pourra le convaincre puisqu’une ambulance a pu passer et les témoins s’être dispersés. » Belle illustration de la vérification conjuratoire contre une catastrophe fantasmée.

– J’ai rien fait. On m’a forcé. J’avoue. Mais promettez-moi de ne pas toucher à ma collection de capsules d’eau gazeuse…

Moi même, en vérifiant le courrier ce matin (NDLR: nous étions le 19 octobre), j’ai aperçu une lettre administrative au fond de la boite: en moins d’une minute, me sont alors passées dans la tête suffisamment de mauvaises nouvelles potentielles (qu’est-ce que j’ai encore fait? comme j’ai pris la voiture il y a une semaine, n’ai-je pas commis un excès de vitesse? Où était le radar? Est-ce enfin une lettre m’annonçant que le Procureur de la République renonce à me poursuivre en justice? N’aurais-je pas dû signaler à la Sécu que ma fille n’habite plus en France depuis deux ans? Et enfin actualiser mon permis irlandais périmé?) pour que je remonte dare dare chercher la clef pour découvrir qu’il s’agissait d’une lettre du trésor public me signalant que je (ou plus exactement mon épouse) m’étais effectivement acquitté de l’amende consécutive à une infraction commise par ma belle-fille dont la voiture est à mon nom. D’une manière générale, je m’attends toujours un peu à des représailles pour un de mes hypothétiques méfaits (j’ai une propension au trublionnisme) quand bien même je reçois beaucoup plus fréquemment des remerciements pour mes actions. Dans mon cas, cette expiation imméritée quoique assez chronique reste vivable: je m’efforce d’accomplir en pleine conscience les gestes dont les conséquences pourraient nécessiter une vérification. C’est pas gagné!

La partition médiationniste entre plans 3 et 4 nous oblige à affirmer que les difficultés relationnelles du névrosé obsessionnel ne sont que les épiphénomènes d’un trouble individuel de la Norme: l’indécision et la reculade chroniques rendent l’engagement amoureux redoutable et la vie de l’autre impossible mais la relation en elle-même n’est pas en cause. Autrui peut d’ailleurs être une source de réconfort et une aide précieuse pour le patient mais face à la réticence chronique du névrosé, on peut souvent être tenté de jeter l’éponge.

– 27… 28… 29… 30!!!!!

La névrose obsessionnelle a été décrite par Sigmund Freud et par ses disciples psychanalystes qui ont développé sa théorie mais l’ont engluée dans la sexualité. Seul Adler a sorti les pulsions agressives du syndrome viennois : la bourgeoisie viennoise du XIXème siècle crève littéralement sous l’interdit sexuel et orientera Freud vers cette venelle trop étroite d’une libido caricaturale. Le désir déborde largement de l’alcôve et le sexe n’en constitue qu’une partie, non négligeable certes, mais pas non plus hégémonique, deux qui la tiennent, un qui la… oh putain! Je suis vraiment désolé. Je promets, je ne recommencerai plus. 

Une affaire d’hommes?

La psychanalyse a fait de la névrose obsessionnelle un mal principalement masculin alors que les cas d’hystérie semblent plutôt concerner les femmes. Attention toutefois à ne pas tomber dans le cliché hétérogenré avec un penseur mâle en proie au doute et au final philosophe et sage alors que l’hystéro de service serait la nana un peu trop excitée qu’on calmerait avec une paire de claques et un seau d’eau froide. 

François vérifiant pour la troisième fois qu’il a bien éteint son magnétophone.

Maria Hejnar termine pourtant sa présentation de la névrose obsessionnelle par la description d’un cas de figure emblématique et… masculin: « À chaque fois qu’il s’apprête à sortir de chez lui, François doit vérifier si le fer à repasser est débranché, mais il doit arrêter aussi tout l’électroménager et même débrancher des lampes. Il va donc de pièce en pièce, en suivant toujours le même ordre et vérifie… une fois, deux, et recommence à nouveau. Une fois qu’il a tout vérifié, il peut enfin sortir. Mais une fois en bas de chez lui, il est saisi d’un doute… Ai-je fermé la porte? Ai-je tout débranché ? Il se sent obligé alors de remonter pour vérifier… Il remonte, revérifie, peut enfin sortir… sans pour autant être sûr que tout est dans dans l’ordre. Mais il est déjà beaucoup trop en retard et donc absolument obligé de partir. En effet, François est souvent en retard,  et cela lui a causé des problèmes. » 

C’est à croire que François cherchait à valider notre description type. Le site Carnet2psycho dresse d’ailleurs « en forçant le trait » un portrait robot pas très éloigné de celui de François: « un vieux garçon resté proche de sa mère, fonctionnaire ou comptable épris d’habitudes et de petites manies, scrupuleux et soucieux d’une justice égalitaire, privilégiant les satisfactions intellectuelles et voilant par sa civilité ou la religiosité une agressivité mortifère. »

Il existe une explication oedipienne à cette prévalence masculine mais nous ne nous y attarderons pas cette fois-ci.

Tout le reste est littérature et il va y en avoir! A la revoyure!