C19 – En route pour la démocratie d’appellation contrôlée

Depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée, on en a soupé de la démocratie représentative dévoyée. Pour passer à autre chose en matière d’hégétique, il faudrait paradoxalement une instance chargée exclusivement de répartir et d’équilibrer les pouvoirs, de garantir leur indépendance et de superviser la coopération. Et pour ce faire, un ministère est-il le plus indiqué? Ne lui préfèrera-t-on pas un organisme indépendant? Un Comité de salut public? Ou autre chose…

Résolument communistes – C19

Si le fauteuil des sports est vide, le Gouv a son ministre de la transition démocratique en la personne de Raul Magni-Berton. Il a déjà pas mal travaillé sur la praxis démocratique et il n’est pas le seul. Face au mode d’action par le haut, typiquement jacobino-léniniste, bon nombre de militants réfléchissent à une alternative venue de la base et influencé par l’expérience des Communes dans la France des années 1870-1871, celle des comités et des conseils (soviet en russe, d’où soviétique) au début du XXème siècle.

« Ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir. Seuls les citoyens eux-mêmes sont légitimes et aptes à écrire une vraie Constitution. Quand les politiciens modifient la Constitution, c’est un crime : ils volent la souveraineté qui ne leur appartient pas. » Etienne Chouard

Etienne Chouard a milité dans ce sens et animé des ateliers sur le sujet et depuis le soulèvement des Gilets jaunes, une volonté de reprendre les choses en main anime une partie de la population. Le Gouv lui-même se présente comme un « projet associatif issu des Gilets jaunes qui s’insère dans la tradition des expérimentations démocratiques. » Il en a les imperfections et nous ne manquerons pas de les relever lorsque nous serons en désaccord, la première anomalie étant la nomination même de ce ministre dont la légitimité est toute relative. Mais, me direz-vous, il faut bien commencer quelque part. Soit.

Au niveau des moyens constitutionnels, l’option choisie par le Gouv’ est réformiste : « L’esprit est de partir de nos textes, et de les changer le moins possible, tout en essayant de déverrouiller le système politique. » A RésoCoco, on n’apprécie pas trop la prudence ni l’eau tiède mais laissons sa chance au Gouv d’autant que la stratégie révolutionnaire qui consiste à s’appuyer sur le « déjà là » est héritée de Bernard Friot. On évite ainsi le piège de la table rase qui précipite vers le chaos et la dictature: en l’absence de règles, un homme (ou une femme) à poigne peut alors dicter les siennes (de règles).

Faut-il laisser qui que ce soit seul à la tête de l’État?

Avant donc de laisser la parole au ministre de la transition démocratique, rappelons que le Gouv s’organise avec à sa tête une présidence plurielle de 14 membres. C’est déjà mieux qu’un seul autocrate mais dans la vraie vie, il resterait à mieux définir les modalités d’élections de ces présidents dans une constitution ou même à se demander s’il faut une tête à l’État, et quelle forme lui donner. Idem pour la nomination des ministres: on ne sait pas très bien s’ils sont désignés par la présidence ou par les membres fondateurs de l’association. Il s’agit de toute façon d’une expérience et de volontaires qui ont été « acceptés » au poste pour leur expertise. De la même manière, on peut se porter volontaire pour intégrer le cabinet ministériel sur la base de compétences (citoyen-expert) ou pour intégrer un comité citoyen « de dix personnes tirées au sort qui pourra suivre ses travaux pendant trois mois et participer aux débats ». Le comité citoyen incarne donc un outil de contrôle du pouvoir en ce sens qu’il n’est pas composé d’experts, la spécialisation menant systématiquement à la bureaucratie et à l’amphigouri technocratique… pardon… au jargon technique. Nous reviendrons plus loin sur la dualité intéressante et l’articulation possible entre comité d’experts et convention citoyenne. Mais Raul Magni-Berton trépigne: « La raison d’être du ministère de la Transition Démocratique est l’instauration d’outils permettant la prise directe de décisions juridiquement contraignantes par les citoyens. Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) est l’un d’eux. Ces outils doivent leur permettre d’intervenir dans la vie politique et normative du pays sans l’intermédiaire de leurs représentants, et même contre l’avis de ceux-ci. Ces outils peuvent prévoir un mécanisme de contrôle des décisions votées (par exemple, un contrôle de constitutionnalité, ou un contrôle de légalité). Si un tel mécanisme est proposé, il ne peut avoir pour effet de donner le dernier mot aux représentants contre l’avis populaire : celui-ci prévaut en cas de débat ou d’incertitude. Le ministère mettra également en place des mécanismes de contrôle et de mise en responsabilité des représentants. »

La bureaucratie, un mal qui mine tous les tiroirs du pouvoir…

En d’autres termes, voilà un appareil d’État chargé d’élaborer et de mettre en place des moyens pour permettre au collectif de générer des règles pour son propre fonctionnement communautaire sans s’en remettre à des spécialistes de l’#hégétique (exercice du pouvoir, action de gouverner) dans le but d’éviter la confiscation du pouvoir et de la prise de décision par ces derniers et par conséquent afin qu’ils restent les représentants d’une volonté populaire souveraine: la possibilité pour le peuple d’intervenir et de contrôler les agissements de ses délégués demeure l’un des points cruciaux de la démocratie qui cherche à se mettre en place afin d’éviter la toute-puissance bureaucratique qui semble gangrener de manière systématique toute tentative d’organisation. 

Le Soviet de Petrograd en 1905 quelques instants avant le début du film de la séance de 18h45.

L’historien spécialiste de la révolution russe Marc Ferro évoque par exemple une bureaucratisation des institutions révolutionnaires perceptible dès avril 1917 avant même la prise du pouvoir par les bolcheviks: « Dans chaque quartier, il y avait un comité de 40 à 100 personnes, vers lequel les gens convergeaient pour demander un logement ou le paiement d’une pension. Au bout d’un certain temps, certains membres du comité, mieux informés, connaisseurs de dossiers, sont devenus permanents, et se sont bureaucratisés. Le jour où Lénine organise l’insurrection, il lui faut des relais : ce seront ces responsables des comités de quartier. Ils ne sont pas forcément bolcheviques, mais ont tout à perdre si la révolution échoue. […] Cette rencontre donne naissance aux apparatchiks, ces gens d’en bas, ouvriers ou paysans […] qui vont monter l’appareil d’État. C’est ce que j’ai appelé la “plébéianisation” du pouvoir. » Cette tendance à la « sclérose en places » aura le destin qu’on lui connait avec la main mise du Parti bolchevik sur tous les pouvoirs sous Lénine, Trotsky, puis Staline et tutti quantov. Même le conseil populaire le plus local n’est donc pas à l’abri de la bureaucratisation. On peut le vérifier jusque dans les associations les plus modestes. 

Vous me retrouvez ces connards de Trip Advisor et vous leur tatouer cinq étoiles au chalumeau sur le bisschen!

Il faut dire que l’institution et a fortiori l’État souffre d’une propension intrinsèque au totalitarisme: il cherche de part son statut à ne rien laisser échapper. Ni zone de non-droit, ni marché noir, ni mariage blanc, ni citoyen fantôme ne peuvent être autorisés. Il faut donc veiller à bien délimiter son rayon d’action publique et à bien répartir ces domaines entre ministères. Mais si bien tracées que seront les limites, chaque institution cherchera à grapiller du pouvoir sur la zone d’influence de l’autre pourvu que ce dernier se montre un peu négligeant sur les franges. C’est un combat perpétuel auquel les collectifs citoyens, les associations, les syndicats savent se montrer attentifs. Relâcher la vigilance et le pouvoir choisira pour vous les programmes à la télé… quoi? C’est déjà fait? Ah mince!

Le Gouv’ a retenu la leçon historique d’autant que l’État français et l’Union européenne sont des bouillons de culture bureaucratiques et antidémocratiques qui glougloutent sous nos yeux incrédules: « Le ministère est également attaché à l’existence de fonctions publiques qui donnent des responsabilités politiques. Nous concevons les « représentants » comme des personnes qui se consacrent à temps plein aux affaires publiques, aussi bien pour proposer de grands projets de société que pour administrer quotidiennement notre pays. Cependant, ce rôle essentiel de proposition ne peut se transformer en un rôle de décision. La censure citoyenne doit pouvoir s’appliquer sur tous les sujets. En outre, les responsables politiques ne peuvent en aucun cas se mêler aux débats et réformes concernant les textes qui régissent leur sélection, leurs conditions de travail et leurs droits et devoirs. »

Pour enterrer un régime moribond, confier la tâche à des professionnels!

Le Gouv’ préconise donc de conserver des fonctionnaires professionnels aussi bien stratèges qu’administrateurs. Cependant la décision in fine n’appartient pas à l’exécutif. Ce dernier propose mais en dernier ressort, c’est le collectif citoyen qui dispose selon le vieux principe de la séparation des pouvoirs de Locke et Montesquieu mais étendu à la souveraineté populaire. Tout pouvoir nait de la multitude et ne peut contraindre la multitude sans l’assentiment de la majorité de celle-ci: c’est en ce sens qu’on peut dire qu’il s’auto-gère dans une société résolument communiste. Vous allez me dire que le régime parlementaire actuel garantit la souveraineté populaire par la constitution: « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » quand même!. Oui sauf que l’article suivant dit « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum« . Maintenant regardez qui nous représente et sur quoi peuvent porter les référendums, et vous allez déchanter. Le système représentatif (suffrage universel, bicamérisme, mandat irrévocable et immunité parlementaire) a été conçu par la bourgeoisie pour que le pouvoir nous échappe alors même qu’il prétend nous l’offrir par la voix d’élus qui n’appartiennent pas à proprement parler à l’appareil d’État mais qui en sont le plus souvent les meilleures huiles.

Périclès a utilisé à plusieurs reprises l’ostracisme contre ses adversaires politiques. Ça s’est fait au nom de la démocratie athénienne mais c’était tout de même un bannissement. Si Macron agissait ainsi, c’est 90% de la population française qui vivrait à l’étranger.

En conséquence, le Gouv’ retire à l’État le soin de s’auto-instituer: plus question que le Parlement vote lui-même les règles de son propre fonctionnement et tout particulièrement le mode de scrutin de son élection ou les indemnités. Le pouvoir démiurgique doit être repris à ceux qui exercent les fonctions législatives pour « déverrouiller » la forteresse pseudo-légale dans laquelle le clan Macron s’est barricadé. L’utilisation abusive de la constitution de la Vème république nous offre actuellement une formidable démonstration de ce qu’un texte conçu par des apparatchiks bourgeois peut engendrer comme corruption sans que les citoyens (et aujourd’hui même leurs députés) puissent intervenir, sinon à coups de trans-palettes et de paquets de farine. Les Gilets jaunes réclament très judicieusement une procédure d’initiative populaire de destitution à l’encontre des élus à la dérive. Ruffin leur avait emboité le pas, me semble-t-il…

L’institution en tant que processus doit par conséquent restée aux mains des citoyens sans délégation (de base, pourrait-on dire) mais pas sans pouvoir, d’une manière ou d’une autre. A l’inverse, le pouvoir par procuration des délégués de la nation (élus ou nommés) doit pouvoir faire l’objet d’une procédure de révocation et d’un vote de destitution: en cas de prise de mesure impopulaire, le délégué devra donc justifier clairement sa décision et rendre des comptes à ses délégataires. L’État ne peut pas se constituer en Personne totalement autonome jusqu’à ne plus avoir à répondre des actes de ceux qui l’incarnent sans risquer la dérive bureaucratique où le fonctionnaire agit en totale soumission à la Personne (en sociologie médiationniste, nous n’avons pas besoin de préciser « morale ») qui lui octroie un rôle dont il ne peut pas s’extraire. L’État, c’est à dire le pouvoir du peuple à s’administrer, dépasse en cela l’individu citoyen mais il ne doit pas non plus échapper au contrôle du collectif civique. Il y a là un processus dialectique qu’il faut bien veiller à ne pas laisser se réifier: l’État ne peut pas se substituer à la souveraineté populaire, il n’en est que le bras institutionnel. Il n’a jamais que la puissance que la nation lui accorde.

L’illustration n’est pas géniale mais celles pour l’exosquelette sont tellement rédhibitoires qu’on en restera là. En plus, vous noterez le caractère tricolore du transformer.

Pour utiliser une allégorie, on peut voir dans l’État un exosquelette géant ne pouvant être actionné que par des humains dont les fonctions et les prérogatives sont bien définies et respectées mais où les agents sont renouvelables en cas de défaillance ou de manquement. L’État se sclérose lorsque la partie de l’exosquelette et son actionneur humain deviennent indissociables: le bureaucrate, c’est en fait le fonctionnaire qui fait corps avec le squelette artificiel. Plutôt que d’incarner le pouvoir, le délégué doit lui donner vie sans se fondre avec lui: le fonctionnaire se met au service d’une gigantesque Personne, elle-même au service d’une multitude d’administrés. Lorsqu’il est dans sa fonction, l’agent de l’État ne sert pas ses intérêts mais ceux de l’entière collectivité, et si ses propres intérêts devaient entrer en conflit avec ceux qu’il doit servir, la dignité du statut lui enjoindrait de démissionner, c’est à dire de quitter la mission qu’il ne pourrait correctement remplir puisqu’il serait placé devant un choix cornélien: le devoir (plan 3) et l’affectif (plan 4). Le dilemme de ce type est justement à éviter à tout prix sous risque de corruption, de népotisme et de clientélisme. Le contrôle doit bien évidemment s’exercer aussi à ce niveau et il l’est, en principe du moins, dans toutes les sphères de l’État (déclaration de patrimoine pour les ministres par exemple), sauf que c’est un organisme indépendant comme Anticor qui actuellement doit faire le job que l’État n’assure plus lui-même étant donné le niveau de prévarication de la bourgeoisie aux manettes. Cette dernière se sert avant de servir le public et met les services publics à celui de de ses propres intérêts principalement financiers. En finissant de détruire le corps des grands serviteurs de l’État, l’élite des hauts fonctionnaires, pour le remplacer par des opportunistes concussionnaires tout droit sortis de HEC et du management libéral, la macronie fragilise encore davantage l’État français: méprisé par le pouvoir et vilipendé par le peuple, il n’a jamais tant été en but aux attaques.   

Froid, méthodique et impartial, l’agent Smith est un fonctionnaire exemplaire, très bien noté par ses supérieurs.

Il reste pourtant au coeur d’un véritable paradoxe: l’État doit rester une machine intelligente mais dénuée d’affects pour faire appliquer égalitairement la loi et c’est justement cette froideur psychorigide que les administrés lui reprochent souvent. Mais d’un autre côté, l’affectif mène à la dérogation qui est une entorse à la loi, même si l’exception peut être juste au regard de l’émotion qui est entrée en jeu. En dehors du magistrat qui a à faire à des humains, le fonctionnaire n’est pas là pour avoir des états d’âme mais pour faire fonctionner un système qui en retour doit servir l’universalité, la même application du droit pour tous. Mais l’égalité entre parfois en conflit avec l’équité et l’exécutif au sens très large se retrouve quelques fois en contentieux face à la justice pour rétablir l’équilibre quand la loi semble léser le citoyen.

Si le système judiciaire actuel dysfonctionne, c’est peut-être parce que la magistrature a pris fait et cause pour le pouvoir qui édicte la loi. C’est pas moi qui le dit, c’est Régis de Castelnau, lui-même avocat, grand spécialiste du droit et ministre de la justice dans le Gouv’. Les Gilets jaunes, les associations dissoutes et d’une manière générale tous les opposants au régime en ont fait les frais. Depuis l’élection présidentielle de 2017, la justice s’aligne trop souvent sur le pouvoir et ne lui tient que rarement tête alors que son indépendance lui en donne en principe le droit et même le devoir. L’annulation de la dissolution des Soulèvements de la Terre infirme ce constat mais pas la tendance générale.

Illustration gracieusement offerte à RésoCoco par la Cour Suprême des États-Unis.

Aux États-Unis, certains juges sont élus, ou du moins maintenus en place par une élection populaire: l’American Judicature Society a ainsi proposé une nomination en trois temps. « Tout d’abord, une commission indépendante établit une liste des candidats les plus méritants. Le président de la cour suprême de l’Etat (state’s chief justice) choisit dans cette liste un nouveau juge qui sera en quelque sorte en période probatoire. A l’issue de cette période, les électeurs décident ou non de son maintien en fonction pour une certaine durée dans le cadre d’une élection de rétention. » On pourrait bien évidemment envisager quelqu’un d’autre pour choisir. Mais il est tout de même intéressant d’imaginer qu’en dehors des jurys d’assise, le peuple pourrait intervenir dans l’institution judiciaire. On pourra objecter que c’est bien la peine de tenter d’assurer l’indépendance des juges vis à vis de l’exécutif d’un côté pour assujettir cette autonomie au vote citoyen. En effet, ça se discute.

En commission

Malgré son apparence de radiateur électrique, le klérotérion permettait de jouer au loto mais fut plus souvent utilisé pour désigner aléatoirement certains magistrats à Athènes.

A RésoCoco, si nous souhaitons développer la démocratie directe dès qu’elle est possible à un échelon local, nous considérons en revanche que la délégation est l’essence même du pouvoir démocratique à grande échelle: un collectif confie à un ou plusieurs individus son pouvoir de décider et d’agir. Il en résulte une concentration de puissance, à la fois protectrice et coercitive, c’est à dire que la décision du délégué, prise au nom de ceux qui lui ont octroyé son mandat, a un effet bénéfique ou contraignant mais admis par chaque membre parce qu’émanant au final d’une convention collective. Avec le tirage au sort du délégué, le collectif remet au hasard le soin de choisir celui ou celle qui ne peut être contesté.e vu que le choix n’émane de personne. Reste qu’on peut contester la légitimité du principe ou encore la neutralité du protocole. 

Au Vème siècle avant JC, les démocrates athéniens avaient souvent recours au Klérotèrion, une machine à tirer au sort, pour désigner ceux qui exerçaient les différents pouvoirs. Cette manière de faire ne faisait pas l’unanimité: ni Platon, ni Aristote (Aristoi signifie les meilleurs) n’y étaient favorables puisqu’ils étaient eux-même issue de l’aristocratie, autre nom de l’élite à l’époque. Le tirage au sort est pourtant toujours le mode de recrutement des jurés pour les cours d’assises qui peuvent toutefois être récusés par la défense ou le procureur. Et nul aujourd’hui ne remet ce principe en cause sauf peut-être les nostalgiques d’un ancien régime où les trois pouvoirs étaient concentrés dans les mêmes mains.

Pour les deux dernières conventions citoyennes, le tirage au sort s’est effectué à partir des listes d’abonnés téléphoniques dans le but d’obtenir un panel représentatif de la population française, comme pour un sondage finalement. 150 ou 180 personnes, ça fait déjà un nombre assez conséquent pour discuter et délibérer. L’intérêt de choisir au hasard, c’est justement le désintéressement. Le citoyen lambda a certes des intérêts personnels et des convictions mais il faut miser sur le fait que, dans le cadre d’une convention officielle de ce type où le destin de ses concitoyens est en jeu, il ne fasse pas n’importe quoi, sous la pression du groupe d’une part et d’autre part, sous l’influence multidirectionnelle d’une palanquée d’experts qu’on ne manquera pas de faire défiler à la tribune. Là encore, il faudra de la transparence dans le choix des spécialistes auditionnés avec un équilibre des orientations exposées. 

Dans l’interview sur Élucid, Emmanuel Dockès (voir le lien sous la photo) souligne le fait que des experts (tout comme les avocats ou les procureurs aux assises) qui doivent se faire comprendre du grand public éviteront l’éloquence (on veut être convaincu, pas persuadé) et le jargon technocratique (on veut saisir des arguments, pas être impressionné). D’ailleurs, les experts pourront se réfuter entre eux si nécessaire et la clarté devrait sortir renforcée de débats suffisamment aboutis, contrairement à ce qui se produit sur les médias de masse. 

Lorsqu’on avait réfléchi sur le RIC, je me souviens qu’on avait également évoqué l’idée d’une télévision spécialement dédiée à la question. On imagine déjà le zbeul médiatique pour une proposition de Frexit. 

Le Gouv’ prévoit que les révisions constitutionnelles donneront lieu à référendum, l’avis des électeurs n’étant pas simplement consultatif mais faisant office de décision. Pour des décisions moins fondamentales (mais là encore, il faudra un arbitrage), c’est le comité citoyen du ministère qui trancherait, pas les experts. Ce comité serait renouvelable tous les trois mois. Cela semble court: à Athènes, les « bouleutes » étaient en poste pour un an.

La convention citoyenne sur la moustache avait réuni 150 otages en 1948 à Nogent-le-Rotrou. Elle aboutit l’année suivante à la création de la commission Gilette.

Il est évident qu’on ne peut pas convoquer une convention citoyenne, encore moins déclencher un référendum, à la moindre décision à prendre. Même les Suisses n’ont pas recours à la votation tous les dimanches. Les lois qui sont des décisions pérennes ne peuvent pas non plus être décrétées par ordonnance de l’exécutif. Il faut bien évidemment une instance législative. La convention citoyenne sur le climat ou celle sur la fin de vie aurait pu le devenir. Mais elles n’ont fait que préconiser: Macron le boyscout de La Providence ne peut bien évidemment pas faire confiance à des péquins venus de nulle part. Ce n’est d’ailleurs absolument pas dans l’esprit de la Vème République: Debré et de Gaulle ne se sont jamais distingués en tant que grands démophiles. La démocratie parlementaire tient volontairement le peuple à distance et en l’état actuel des institutions, il est si fastidieux de déclencher un référendum même si on est motivé qu’on n’y pense même plus dans la plupart des milieux militants. Seuls quelques inlassables partisans de la voie référendaire font encore circuler des pétitions pour un RIC contre la réforme des retraites ces jours-ci. Mais c’est peine perdue.

Loin de nous la tentation de conclure ce chapitre forcément trop court (et pourtant déjà si long) avec l’organigramme d’un gouvernement trop bien défini (je rappelle que RésoCoco reprend ici celui du Gouv’ pour des raisons de commodité). Je ne sais pas s’il faut garder les régions aux dimensions de landers allemands, conserver les préfets et leurs uniformes d’opérette, maintenir des conseils départementaux où s’épanouissent des baronnets mafieux. Le chapitre vise principalement à montrer qu’il existe des possibilités de contre-pouvoir hors de l’aporie parlementaire. Le principe d’un conseil décisionnaire citoyen, représentatif mais « sélectionné au hasard » et soumis à des informations multilatérales est l’une des options qui nous semblent pour l’heure parmi les plus intéressantes. Et elle n’est nullement contradictoire avec le RIC.

A Vierzon, le collectif Chavez for Ever a déjà bien bossé sur un nouveau texte constitutionnel très inspiré par la vie des abeilles de Maeterlinck.

Comme ne cesse de le rappeler Étienne Chouard, c’est dans une nouvelle constitution que tout cela devra être écrit. Au regard du texte de la Vème et vu ce qu’on propose ici, il n’y aurait pas grand chose à garder de l’actuel texte. Autant dire qu’il y a du taf pour ce ministère, tellement qu’il serait sage que des comités de rédaction fassent des propositions (cela a déjà été fait) et que tout ce matériel soit compilé (là, le ministère de la transition démocratique a son rôle de collecteur à jouer).

L’ennui, c’est que dans le cadre de la Vème, les parlementaires ne vont pas se laisser mettre sur la touche sans broncher. Et il y a fort à parier qu’ils auront leurs supporters près au coup de poing. Rien que chez moi, dans la 3ème circo du Jura, je vois déjà des légions de vieux conservateurs faire la tortue autour de leur petite élue locale pour ne pas qu’elle soit destituée ou pour qu’elle participe à la constituante au prétexte qu’elle a été légitimement élue. Et une fois dans cette assemblée, je n’imagine pas celle-ci scier la branche sur laquelle elle pète plus haut que son cul grâce à son incompétence. Et je le dis avec d’autant plus d’aplomb que je sais fort bien que les écrits politiques n’ont jamais envahi son bureau, ce qui ne l’empêchera pas d’affirmer que les prétentions du populo à gouverner sont irréalistes alors qu’elle-même est montée à l’Assemblée nationale avec un viatique politique des plus minces. 

Le 22ème congrès de PCF en 1976 voit l’escamotage de la notion de dictature de prolétariat. Marchais préfère annoncer son abandon à la télévision pour ne pas affronter une contestation interne au plus haut niveau. Depuis la parti a même abandonné la faucille et le marteau sur son drapeau. Le communisme soft plait aux médias officiels et on continue d’y inviter Fabien Roussel.

La transition vers la démocratie ne sera donc peut-être pas une transition si démocratique que ça et ne va pas se faire sans heurt. Mais ça fait des décennies que ce sont toujours les mêmes qui se font maltraiter. Alors bousculer les bourgeois et mettre au pas quelques fachos, ça ne serait pas pour me déplaire, juste le temps que la majorité d’entre nous retrouvent le goût d’exercer leur pouvoir. On n’est pas obligés d’appeler ça la dictature du prolétariat, encore que l’expression a le mérite d’annoncer la couleur, mais on pourrait également baptiser cette reprise en main: la démocratie des conseils. Personne ne trouverait à redire sur la formule. D’autant que la démocratie repose sur la possibilité du conflit ouvert. Une nouvelle constitution ne serait donc pas là pour régler tous les problèmes, notamment économiques, auxquels nous avons à faire face, mais pour poser les conditions d’expression des contradictions politiques, seule manière de se donner une chance de les dépasser. Étouffer le débat comme le permet la Vème ne peut mener qu’à un régime autoritaire.

Reste la question de l’arbitrage des relations entre ministères, une gestion qui incombe en Vème république au chef du gouvernement. Là encore, l’exercice du pouvoir risque de se montrer sous son mauvais jour et il faudra parfois trancher dans le vif des rivalités. Les Athéniens bannissaient tout citoyen susceptible d’entamer une dérive tyrannique quitte à se séparer de leurs meilleurs éléments. Et hop Bruno Le Maire en Albanie et Darmanin à Cuba! Mais Athènes s’est ainsi parfois privée d’Aristoi compétents mais qui pouvaient faire de l’ombre à d’autres nettement plus médiocres.

C’est vai que le Conseil constitutionnel, c’est pas le Soviet Suprem!

Et s’il fallait un Comité de Salut public pour renvoyer chacun dans ses cordes en cas de conflit sur les domaines d’exercice du pouvoir, comment en nommer les membres? Le Conseil constitutionnel a récemment montré son inféodation à l’Élysée. Il a aussi montré qu’il n’y a pas nécessité d’être grand clerc pour être « sage », ce qui ouvre des perspectives à la constitution d’instances d’arbitrage indépendantes. Pourquoi aller chercher les retraités du pouvoir quand le tout venant suffisamment motivé (et informé sur un texte que toute bonne volonté devrait pouvoir comprendre) ferait aussi bien l’affaire? Sans oublier qu’il est plus que temps d’écrire une nouvelle constitution. Bref rien n’est encore bien défini mais on part tout de même sur des bases moins fallacieuses que celles de la démocratie représentative bourgeoise qui ne représente que ses intérêts de classe.

Bon, j’ai sans doute été un peu long mais la question est cruciale: comment inventer de nouvelles institutions loin du simulacre démocratique actuel? Le réformisme en douceur du Gouv’ me parait dangereux. Il ne s’agit pas simplement de prendre les clefs du camion et de changer la bâche: ce sont des changements bien plus profonds qu’il faut opérer. La bourgeoisie ne restera pas les bras ballants si on touche à ses prérogatives et croyez-moi, on ne la prendra pas par surprise.

Thomas Sankara : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous ». C’est clair!

Certes le Gouv’ pose bien la question mais si on biffe tout le titre II de la Constitution (soit 11 articles), on n’est déjà plus dans la réforme mais bel et bien dans une démarche révolutionnaire, inutile de se le cacher et de jouer sur les mots pour ne pas effrayer le péquin moyen. La bourgeoisie s’est imposée par le mensonge. Les communistes doivent la vérité à ceux à qui ils entendent proposer une sortie de l’illusion capitaliste: ça ne va pas se passer sans pots cassés. Pour l’instant, c’est nous qui ramassons tous les jours les morceaux des camarades qui se font casser par la machine à produire. On ne va quand même pas pleurer sur le sort d’une minorité pleine aux as qui va défendre par la force mais perdre ses privilèges et pas mal de bricoles inutiles (jet privé, voitures, résidences secondaires, fringues de luxe, bijoux et tout ce qui s’en suit). Merde à la fin!

Tout le reste est littérature! A la revoyaute!