M10 – Marx et Matrix ou les chemins de la dialectique

Thèse, antithèse, synthèse sont probablement pour vous les prothèses du philosophe laborieux. Plus pour longtemps car la théorie de la médiation donne à la #dialectique son meilleur rôle dans le grand film de la rationalité. Sans dec’…

Qu’est-ce que la médiation? M10

Maintenant que l’assiette #éthologique est en place, nous allons vraiment pouvoir tâter de la culture. L’expérience de l’#anthropien constitue la première phase, le point de départ, la thèse, d’un processus dialectique. La base est déjà complexe et l’intelligence de l’animal, si on tient à utiliser ce terme qui n’a plus aucune valeur scientifique, s’arrête pourtant là, aux portes d’un univers fait de vides et de tensions, en perpétuel mouvement.

Pour parler comme Spinoza qui n’en a jamais parlé, je dirai que par dialectique, j’entends un mouvement spontané de l’esprit humain qui comprend deux moments mutuellement contradictoires. Le premier est une opération d’évidement d’un contenu tandis que le second est l’opération inverse de réaménagement de ce système en creux. Face à un matériau naturel qui résulte des fonctions supérieures (Objet, Trajet, Sujet, Projet), l’humain instaure, par le simple fait d’exister en tant que tel, un pôle de contradiction structurale qui installe une tension entre deux phases contradictoires avec une impossibilité de rester en l’état. Et cela indépendamment de toute volonté.

La réduction de cette fracture advient dans le dépassement momentané de la contradiction. Celle-ci n’est jamais annulée, mais seulement résolue pour un temps et sa résolution toujours à renouveler.

Gagnepain formule la chose ainsi au début de Du Vouloir dire 1 (dont, soit dit en passant, l’abréviation fait DVD): « L’instance par elle-même néantisante d’une analyse qui est dans le monde et de bien des façons à l’origine du discret n’est en aucun cas séparable de la performance qui positivement l’y réinvestit et, ajoutant nos lois à ses lois, nous permet de le transformer. » Pas sûr qu’on ait gagné des lecteurs… mais la formule est d’importance.

Jean-Yves Urien utilise une métaphore pour aider à comprendre : la dialectique est comme un mur avec une porte sans clenche. D’un côté, la phase naturelle et de l’autre, la culture, la négation de cette nature. La porte s’ouvre sans cesse et ne se referme jamais totalement : le flux circule dans un sens et dans l’autre sans que la porte ne soit jamais ni complètement ouverte ni entièrement fermée : elle reste toujours ouvrable. De ce fait, les deux côtés du mur sont à la fois étrangers l’un à l’autre et à la fois en interaction constante par le truchement de cette porte. Mieux ! C’est leur opposition qui les définit.

La dialectique est spontanée et incessante. Comme dirait Brassens, ça ne se commande pas. Gagnepain postule également que le processus est inné sans pour autant être opératoire dès la naissance par manque de contenu à traiter chez le petit d’homme. La modalité dialectique serait déjà là mais ne pourrait commencer à fonctionner que lorsque la matière première est à point.

La dialectique échappe donc au chronomètre mais aussi à la conscience. La quasi-instantanéité du processus neuronal et sa spontanéité largement hors de contrôle fait penser à tort que la relation établie est immédiate, alors qu’il y a bien médiation sur un plan logique même si chronologiquement, le fait est à l’heure actuelle très difficile à observer.

La dialectique n’est donc pour la théorie de la médiation ni un ping-pong socratique ni un va-et-vient historique, ni l’aller-retour entre le pour et le contre dans la dissertation, ni une méthode d’investigation, ni une trilogie de stades. 

Pire ! la dialectique est largement contre-intuitive car les phases se nient mutuellement jusqu’à partiellement masquer le processus. En contestant la négativité de la phase abstraite, le moment de réinvestissement instaure un concret qui parait « coller » à la réalité. Les choses sont ce qu’elles sont constate l’observateur naïf et il faut bien appeler les choses par leur nom. Or, il suffit d’avoir vu Matrix pour comprendre qu’un autre monde insoupçonné s’ouvre sous les yeux de celui qui les ouvre. La matrice est bien présente mais l’apparence semble nier jusqu’à son existence. En psychanalyse, le refoulement offusque toutes les luttes internes et dans les salons du Titanic, on ne se doute pas que l’eau envahit les machines.

C’est cet aspect conflictuel que Gagnepain retient de la pensée de Marx mais il ne le confine pas à la lutte des classes. Marx avait bien compris que se jouait dans la dialectique une force aussi fondamentale qu’abstraite pour l’homme. Sous l’apparence sociale notamment, se cachent des éléments contradictoires : le prolétariat et la bourgeoisie (en l’occurrence mais pas que !) selon Marx dont la pensée sera malheureusement réduite par les politiques. Pour Marx, lorsque l’analyse de la réalité passe sous le visible et l’évident, elle met à jour une contradiction. En tant que matérialiste, il n’a simplement eu ni le temps ni les moyens de vraiment travailler sur un autre matériau que le social qui l’intéressait en tant que militant.

Mais chez Marx et Engels, la dialectique est aussi une méthodologie philosophique qu’il ne faut surtout pas confondre avec cet affrontement sourd, souterrain et spontané qu’ils ont mis à jour. 

Selon Gagnepain, le conflit qui engendre la tension est constitutif de l’être humain sur les quatre plans de médiation. La médiation, c’est la résolution relative et toujours à reconduire de la contradiction parce que le pôle d’abstraction est inhérent à la constitution humaine : l’évidement en mouvement (ou le vide mouvant) qui s’oppose à l’expérience naturelle est inscrit dans le patrimoine génétique de l’homme. Il ne peut pas venir d’un ailleurs transcendantal : il est là, en l’homme, dans la chair de son cortex.

La dernière phase n’est pas à proprement parler substantielle, bien qu’elle soit observable, puisqu’elle est toujours susceptible d’être réaménagée: elle est concrète sans être fixe. En elle, se résout la contradiction et comme le sujet n’a pas conscience du conflit fondateur, il tend à croire que le résultat de l’analyse est le fruit de la réalité. C’est comme si vous zappiez le moment où vous avez découpé le gâteau et que vous imputiez l’exact nombre de parts à la nature de la pâte d’amandes ou à un pâtissier divin. Reste que nous devons partir de l’observable pour avancer toutes ces hypothèses.

Il est tentant de symboliser le tout par un schéma : c’est magique mais un peu fallacieux parce que ça #réifie ce qui a plus à voir avec le radar et l’aurore boréale qu’avec le zigzag. Néanmoins…

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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