C2 – Sur la base d’une anthropologie contemporaine

Contrairement au matérialisme dialectique historique pour lequel ce qui différencie l’homme avant toute chose des animaux est qu’il est le seul à produire ses moyens de subsistance, la théorie de la médiation ne cherche pas d’emblée à distinguer la bête et l’humain mais à identifier dans un premier temps ce qu’ils ont en commun. Elle se fonde donc dans un matérialisme animal avant même qu’il ne soit historique ou dialectique.

Résolument communistes – C2

La théorie de la médiation fonde son explication des comportements humains sur un socle éthologique, c’est à dire sur la base des fonctions supérieures que nous partageons avec l’animal, pour s’en abstraire et le sublimer, et j’insiste sur ce dernier point qui est essentiel pour ceux qui auraient pris le train en marche (pas celui d’Emmanuel Macron mais celui de L’Anthropologie pour les Quiches).

Édouard, un compagnon de lutte de la première heure

A la suite de bon nombre d’amis des bêtes qui ont parfois oublié d’ensuite sortir du zoo et de s’intéresser au spécifiquement humain, Jean Gagnepain distingue quatre fonctions supérieures chez l’animal: le symbole (association d’un indice et d’un sens), l’instrument (moyen et fin), l’espèce (sexualité et génitalité) et le désir (prix à payer et satisfaction). 

Toujours mû par le désir de persévérer dans son être comme dirait Spinoza, l’animal se reproduit, élève ses petits et assure ainsi la pérennité de l’espèce. Pour survivre, il lui faut se représenter le monde, lui donner un sens naturel (Gestalt), s’y mouvoir et être capable d’utiliser les ressources naturelles afin de se nourrir ou pour se protéger.

L’humain n’échappe jamais totalement à ce substrat éthologique puisqu’il en a besoin pour exercer ses facultés dessus : pour rappel, nous appelons facultés les capacités spécifiquement humaines par opposition aux fonctions animales. Il existe donc une relation jamais interrompue entre la nature et l’humanité, pas uniquement entre l’humain et son environnement mais entre une base biologique et sa transformation culturelle, ce que nous désignons par acculturation ou médiation, d’où le nom de théorie de la médiation.

Il ressemble à un sac à aspirateur mais c’est un tardigrade… et c’est tout petit.

Par la médiation, l’humain s’extrait de ce fond animal constitué par son corps et ses fonctions. Il continue à appartenir au monde biologique comme le virus a cru bon de nous le rappeler ces derniers temps mais aussi à y participer culturellement car il sort de sa condition animale pour la réinvestir autrement.

La médiation est donc l’ensemble des processus qui font de nous des humains. Leur étude est la théorie de ce qui est spécifiquement culturel, par opposition à la part naturelle de notre être qui relève des sciences naturelles. Les sciences humaines ne peuvent pas se passer d’elles mais ne peuvent s’y cantonner et adopter leur méthode scientifique. Le scientisme est justement l’application de la démarche des premières sur l’objet des secondes. Ça réduit l’homme à n’être qu’un animal évolué, ce que conteste la théorie de la médiation. Y a bien autre chose qu’un simple petit plus.

La médiation est un seul et unique processus qui, quoique complexe, ne varie pas selon le matériau animal sur lequel il s’exerce. C’est du moins le pari #heuristique que fait Gagnepain: quatre fonctions supérieures, un seul processus d’acculturation ou de médiation.

Cette médiation est à la fois dialectique, structurale et implicite. Gagnepain emprunte le premier concept à Hegel et Marx, le deuxième à la linguistique de Ferdinand de Saussure. Quant au troisième, c’est à Freud et à la psychanalyse que nous le devons. Ainsi nous ne sommes pas conscients de ce qui s’opère en nous. Au contraire, l’évidence nous trompe comme Marx l’a montré avec le fétichisme de la marchandise et Freud avec le symptôme et son explication. Cette activité inconsciente nous garde du vertige que nous éprouverions devant la complexité structurale de l’analyse du vivant que nous pratiquons à tout moment, d’autant qu’un va-et-vient incessant agit en nous entre concret et abstraction qui se contredisent. Par un mouvement de négation du naturel, nous accédons à ce que la théorie de la médiation appelle l’#instance qui se manifeste dans la #performance

Vous pouvez essayer de vous représenter cela comme la transformation d’un billot de bois en feuilles de papier. Vous ne faites pas le rapprochement entre la matière première et le produit parce que le process de fabrication vous est inconnu. Mieux, vous ne vous doutez même plus de l’existence d’un matériau originel et vous êtes prêt à nier son existence : la bête qui est en nous vous échappe et vous vous prenez pour un pur esprit sauf que la réalité nous rattrape toujours par la manche pour aller aux toilettes ou chez le toubib. C’est le syndrome du poisson pané à la cantine : l’enfant naïf ne fait pas spontanément la relation entre le gros cabillaud dans l’océan et le petit boudoir de la mer dans son assiette. Nous oublions ainsi la nature qui est en nous et nous considérons comme naturel ce qui est en fait le produit d’une transformation. Ce « ça-va-de-soi  » nous empêche de comprendre ce qui se joue en nous d’autant que l’idéologie dominante, l’hégémonie dirait Gramsci, nous pousse à croire que c’est comme ça et pas autrement, un point c’est tout, sans compter qu’il existe en nous-mêmes une sorte d’effet-carter (ou Matrix si on préfère) qui dissimule le mécanisme qui est quand même assez compliqué et que je ne développerai pas en détails ici.

En fait d’emprunt, la dette envers un certain nombre de prédécesseurs se rembourse par le dépassement historique de leurs idées, quitte à chambouler les fauteuils des bien-assis. Comme dirait Bernard Friot, la révolution se fait à partir d’un déjà-là communiste mais dans le cadre d’un bouleversement anthropologique d’envergure. La théorie de la médiation s’appuie donc sur tout ce qui s’est déjà dit de pertinent en philosophie et dans les différentes sciences. Contrairement à Marx pour qui l’homme se distingue principalement de l’animal par sa capacité à produire ses propres moyens de subsistance, elle avance que ce que le matérialisme historique renvoie dans la superstructure est également déterminant pour l’humain. L’infrastructure marxienne fait de la même manière l’objet d’une déconstruction mais nous accordons à Marx d’avoir mis en avant ce que nous appelons les plans de l’Outil et de la Personne.

Quelques amis…

La théorie de la médiation ne fait donc pas exactement table rase mais elle s’inscrit tout de même en rupture avec une doxa un peu foutraque et se construit sur les leviers que Marx et Engels, Saussure, Freud, Spinoza, Dürkheim, Mauss, Kant, Rousseau et tant d’autres précurseurs ont glissé dans les failles de l’évidence. Celle-ci n’est qu’un réel auquel on est habitué. Il ne constitue nullement une réalité en-soi mais résulte d’un processus qui s’invisibilise ou si l’on préfère qui se naturalise. Par exemple, le capitalisme n’a pas toujours existé et ne sera donc probablement pas toujours là. L’hégémonie libérale consiste à nous faire croire le contraire et qu’il n’y a pas d’alternative et que l’Histoire est finie comme l’a prétendu Francis Fukuyama au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique.

Tout ce qui est humain est pourtant contingent et arbitraire : cela pourrait être autrement et par conséquent le sera un jour ou l’autre.

Sur la base éthologique que nous avons évoquée, la théorie de la médiation propose un modèle de l’humain en quatre volets que nous appelons des plans de médiation. Chacun fait l’objet d’une discipline spécifique  : glossologie, ergologie, sociologie et axiologie. Chaque plan porte un dossard par ordre de découverte par Gagnepain et mais les plans apparaissent dans cet ordre 1,2,4 et 3 chez l’humain en maturation. Le plan 3 est celui qui va nous pré-occuper en priorité dans notre proposition politique et il nécessite que le sujet ait dépassé la puberté afin que le processus d’institution, ce que nous désignons par la Personne, se mette en place. L’homo civilis (citoyen) aura d’abord été homo sapiens (penseur), puis homo faber (producteur) et homo éthicus (moraliste) avant d’atteindre la complétude de l’adulte. Vous remarquerez que nous ne parlons pas d’homo oeconomicus qui est lui-même une création du libéralisme et qui, dans notre théorie de la division du travail et de l’échange, le place à la croisée des plans 2 et 3 mais pas à la base de l’humanité: ce n’en est qu’un avatar historique rêvé par l’hégémonie libérale.

Vu que le tétraèdre n’est pas ce qu’il y a de plus pratique à représenter en 2D, un tableau fera l’affaire pour nous résumer.

Là où Marx et Engels établissent une hiérarchie infrastructure/superstructure, la théorie de la médiation propose quatre plans d’égale importance pour comprendre l’humain, sans compter d’autres subdivisions, issues de la déconstruction. De leurs combinaisons, naissent tous les phénomènes humains. La division du travail, par exemple, suppose une analyse technique des tâches (plan 2 de l’Outil) qui subit ensuite un traitement déontologique (social, plan 3 de la personne) en charges qui se hiérarchisent et parties qui se complètent : c’est ce que nous appelons la collaboration ou la répartition coordonnée de l’activité productive. Ce n’est que dans un troisième temps que s’opère une valorisation (plan 4 de la Norme) de telle ou telle activité et toujours dans un contexte historique déterminé, avec des choix de la classe dominante. Marx aurait probablement saisi l’intérêt d’un tel découpage: il ne contredit nullement son analyse mais permet de l’affiner et sans doute de rendre la chose plus claire pour un public plus large.

On va s’arrêter ici pour cette prise de contact déjà compacte. RésoCoco vous encourage bien évidemment à parcourir L’Anthropologie pour les Quiches si vous n’êtes pas un habitué et à feuilleter les chapitres afin d’y picorer votre viatique.

A la revoyure, camarades !

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